Témoignage : Patrice Gasser

Enraciné dans le centre du Valais, envoyé ailleurs pour témoigner d’un amour sans frontières

En regardant ma vie à 65 ans, je vois les choix que j’ai faits comme jeune adulte et ce qu’ils m’ont aidé à devenir plus tard. C’est vrai que ce n’est pas facile de choisir de rester célibataire avec d’autres et de s’engager dans une communauté religieuse pour le Royaume. Il y a deux éléments qui me semblent importants aujourd’hui dans les choix que j’ai faits. Le premier est le contact privilégié que j’ai eu avec un ami prêtre depuis mes 15 ans ; le second est l’acquisition des façons de faire dans ma famille à Mollens (Vs).

Ce prêtre ami a su m’accueillir avec ce que je vivais et accompagner mes hauts et mes bas. Je réalise maintenant combien les rencontres avec lui m’ont aidé à découvrir ce que je portais au plus profond de moi, et à choisir ce qui me conduirait au bonheur. En allant le voir de façon régulière (il travaillait à Genève) je lui confiais l’essentiel de ma vie et j’arrivais à discerner ce qui me paraissait essentiel dans ce qui me poussait ; son accompagnement m’a aidé à choisir la vie religieuse-missionnaire.

Étant l’aîné de la famille, j’avais pris l’habitude de vivre, jouer, travailler, et avoir des projets avec d’autres ; nous étions cinq garçons et nous aimions jouer ensemble aux gendarmes et aux voleurs, aux cowboys et aux indiens et découvrir le monde dans lequel nous vivions ;  l’environnement familial a tout naturellement favorisé les conditions de vie de la vie religieuse et je me suis senti comme un poisson dans l’eau dans les différentes activités de formation que la vie religieuse me proposait. Étant souvent le plus jeune (au collège des missions, au noviciat et durant les études de philosophie et de théologie) j’ai appris à laisser la première place à d’autres ; j’ai accepté d’apprendre avec d’autres et à leur laisser le leadership dans les différents projets que nous avions. Ce n’est que plus tard, à l’âge de 40 ans, quand je suis arrivé au Ghana que j’ai réalisé que j’étais le plus vieux, et que je pouvais conduire des communautés et orienter les choix concrets de nos existences.

La vie religieuse est passionnante parce qu’elle laisse beaucoup d’initiatives aux différentes personnes ; à 20 ans, je n’aurais jamais pensé que j’apprendrai à creuser des puits, à bâtir des églises, à planter des arbres dans le Sahel et à faire du compostage pour le jardin ; ce n’est qu’en arrivant dans les milieux de mes affectations que j’ai vu les besoins des personnes et que je me suis ajusté pour améliorer les conditions de vie des familles où je vivais. J’étais en bonne forme physique et je participais aux préparations des OJ pour les courses de skis ; aujourd’hui je vois que le sport m’a aidé à rester en forme et à vivre des expériences exaltantes à l’assaut d’un 4000m ou d’un sommet difficile à gravir.

J’ai eu de grandes joies et de lourdes peines durant ces 40 ans de vie religieuse. Les joies arrivent quand on ne les attend pas : la visite d’une amie religieuse qui vient me rendre visite à OLA parish au Nord Ghana, la conversion d’un musulman à la foi en Jésus-Christ, la conviction que Dieu est présent dans les activités de chaque jour, les retrouvailles avec Cyprian Eze du Nigéria au Nord Ghana la dernière semaine où j’étais à Bolgatanga. Les peines sont tout aussi imprévisibles : l’enterrement d’un enfant de 10 ans qui vient de mourir noyé dans une retenue d’eau, les conflits avec un confrère qui, obstinément, ne veut pas entrer dans le projet global de la mission spiritaine, l’accompagnement des familles qui voient leurs enfants hospitalisés après une tempête violente. Être missionnaire c’est partager les joies et les peines de ceux qui nous sont confiés, et nous restons humains, avec nos hauts et nos bas, nos élans et nos fatigues, nos petits bonheurs et notre tristesse.

Aujourd’hui la congrégation des pères du Saint-Esprit est en train de vivre une mue conséquente : elle a enfanté des vocations missionnaires surtout en Afrique et elle se met autrement au service des églises locales. En Afrique les confrères âgés ont construit la majorité des structures de l’église actuelle ; les confrères plus jeunes apportent une autre contribution, aidant et soutenant les différentes églises. La congrégation a le défi de garder le lien entre les anciens qui ont fondé l’église locale et les jeunes qui les suivent au service des familles partout dans le monde. Les manières de faire et les compétences sont différentes, mais c’est le même esprit qui veut aider la vie des personnes et les conduire à la joie.